mercredi 19 janvier 2011

BLEU ET SANS CIEL


Les anges ont créé Dieu pour que l'on croie aux anges. Mais ils ont dus laisser filer le Temps, cet assassin qui inventât la Mort sous enveloppe humaine. Il a fallut dépêcher à tire-d’aile des moissonneurs très particuliers, des mareyeurs qui récoltent ces pellicules sénescentes semées par le retrait du Temps.
12 juillet 1998. Cordes-sur-Ciel.
Arrimée sur un mont séculaire du Tarn, Cordes-sur-Ciel se détache de la terre à certaines saisons, comme pour indiquer aux êtres que les pierres ont été posées ici de fait divin. Un doigt invisible dessine alors un brouillard cristallin que le soleil allume, et la cité prend son envol immobile le temps d'un réveil. Cordes-sur-Ciel: le ciel est descendu à Cordes pour y amasser un peu d'éternité, car les pierres ont le privilège d'être façonnées du temps qu'ont mit les hommes à apprendre la Beauté.
Le soir à Cordes se fait pas furtif sur les pavés: c'est un allumeur de réverbère qui se dépêche d'enflammer la cité. Puis celui-ci, avant tout le monde, se lève au matin, éteint la nuit et met ses habits de cocher afin de conduire élégamment le soleil au-dessus de Cordes qui revêt les haubans de Phébus sur sa peau de damier minéral de grès rose et blond.
Le voyageur distrait s'aventure de peines à Cordes mais ne quitte pas la montée centrale où, il est vrai, s'éploient les façades gothiques du 13ème siècle les plus fameuses qui narrent l'histoire de cette cité d'une voix figée de pierres sculptées en haut-relief. Mais nul n'en a encore saisi les basses fréquences...
Rue Saint-Michel. A travers les hourras!
De l'église du même nom, cette rue descend vers la plus ancienne porte de la cité. Ebloui de merveilleux, l'œil survole les galeries d'art en nombre ici. L'esprit avide d'inouï se lézarde et s'ouvre sur une porte: deux ouvertures opposées et c'est un courant d'air qui vous propulse derrière une façade de pierres jointoyées de silence.
Pas tout-à-fait le silence.
Un léger frottement parvint à mon oreille à travers le rideau bruyant de la victoire des bleus. J'espérais en me retournant voir un nom qui m'indiquerait où je me trouvais. Pour toute réponse, un ciel bleu dans un cadre figurant une porte sans en être une. Pas de porte. A droite, à gauche, des tableaux: j'étais chez un peintre, mais je n'avais nullement pénétré chez lui. Je n'osais m'entreprendre d'un débat face à l'inquiétude qui se rebellait en moi. Le léger frottement reprit. J'avançai les mains pour mieux me diriger dans ce frêle bruit en papillon sonore. Je parvins au seuil d'un local empli de chevalets, de châssis assis dos aux murs, de matrices, d'essais jonchant le sol, et d'un tableau auquel travaillait un homme assis, que je devinai de dos tant il se confondait avec la toile criblée de bleu, nécrosée de bleu. Tout ce bleu était impossible, incompatible avec l'œil humain. L'homme se leva sans que ne bouge le bleu.
- Installez-vous! Vous êtes à l'heure. Etait-ce bien l'heure convenue? Je termine ceci et je suis à vous. Installez-vous, bissât-il coupant court à ma surprise d'une voix tendre que je reconnu sans la connaître. Tout en me tournant le dos, sa voix semblait me parler de face, stéréophonique d'hypnose. Puis il s'assit devant moi; sa voix lui était revenu à la bouche. Après s'être enquit de mon aise, il me demanda pourquoi j'étais ici à Cordes-sur-Ciel. Je ne su quoi répondre, craignant une réponse déjà devinée:
- Le tourisme, banalisai-je!
- Allons, allons, je vous connais. Pourquoi êtes-vous là?
Mon humaine surprise avait déjà quitté sa place en mon corps; il me restait tout de même un fond de révolte et d'offensive enfantine qui tente encore de faire le mur de l'incompréhension:
- Co... comment ça, vous me connaissez?
- Je sais que vous n'êtes pas un simple touriste. On ne revient pas sur un lieu touristique quatre fois en trois jours; alors?
- Mais justement Gabriel c'est parce que...
- Ah ha! Vous voyez, je vous connais puisque vous me connaissez, sinon je ne vous aurais pas invité! Vous me connaissez sans le savoir et vous deviez être là. Aujourd'hui. Car je vous cherchais.
- Gabriel, pardon mais expliquez-vous. J'ai beau aimer les paradoxes, mais même les subtilités nichées aux creux des oxymores m'apparaissent plus limpides que vos affirmations!
Et il débutât:
- Au commencement...
- Ah non! On dirait le début d'un mauvais roman, vous n'allez quand même pas me faire le coup de la Genèse?
- Non, non; surtout que la Bible est un faux en Ecritures. Bon... comment vous dire... Croyez-vous aux anges? Car voyez-vous beaucoup y croient parce qu’ils n’en ont jamais vu. C'est bizarre mais c'est ainsi: le merveilleux qui les maintient dans l'ignorance - ou l'inverse - se dissout quand s'incarnent leurs rêves.
Je ne pouvais qu'objecter de mon athéisme angélique; et pour parfaire mon scepticisme, je lui demandai pourquoi il était là, lui, s'il était bien l'ange qu'il voulait que je crusse.
- Je suis ici pour échapper aux autres emplumés; je me cache parce que j'en avais ras-le-bol du gardiennage. Nous autres garde-du-corps sommes de plus en plus amenés à faire la police devant l'insouciance des humains, l'inconséquence des êtres qui vivent comme s'ils étaient éternels. Nous avons échoué en créant un Dieu. Nous voulions un modèle auquel l'homme pourrait ressembler, un canevas mélioratif, un idéal pantographique. Nous l'avons créé pour que l'humain ait le courage de vivre, mais cet imbécile a cru bon l'enrober de la religion tant l'idée lui était inconfortable. On doit croire sans limite. La religion met des limites à dessein pour prélever ses droits de passage.
Le pire, c'est qu'en construisant un Dieu, nous avons manqué d'attention et laissé échapper le Temps qui ravage, depuis, la terre. Du coup, un décret fut promulgué et nous adjoignit la fonction d'éboueur en plus de celle de gardien de la paix intérieure de l'homme; inutile de vous dire que cela est impossible les septante premières années; après ça va mieux, de mieux en mieux, tellement mieux que nous nous retrouvons à moissonner des cadavres, des corps enfin en paix! Car voyez-vous, l'humain n'a vraiment la paix que lorsque la vie le quitte, il ne sait quoi faire avec la vie, comme si la rançon de la mort était la vie. Cette fonction d'éboueur m'était devenue pesante; je ne faisais plus que ça. J'ai bien posé réclamation, demandé l'aide des séraphins qui vont trois fois plus vite que nous avec notre seule paire d'ailes, proposé des aménagements, mais rien à faire; tout est cloisonné. Je ne voulais pas me laisser faire, mais à force de battre des ailes à droite, et surtout à gauche, on me mit sous bonne garde: trois archanges. Pour ne pas y laisser de plumes, je décidai de fuir: "sauves-toi le ciel ne t'aidera pas" me suis-je dis. Ah mon cher, si vous saviez comme le ciel est décevant désormais; il ne peut plus rien pour l'homme!
- Donc vous n'êtes pas déchu; vous êtes un ange déçu en somme!
- Tiens! ça me plaît, je retiens la formule. C'est vrai, je suis déçu, déçu, déçu...
Il ne pleura pas; un ange ne pleure pas; ne sourit pas non plus...
Le soir tombait froid. Je ne savais comment je me retrouvai sur les pavés de Cordes-sur-Ciel, pavés luisant d'une bruine qu'admonestaient les réverbères. Je sortais indubitablement du bleu envahissant d'un ange qui peignait le ciel ainsi que l'on tricote une couverture de camouflage, car comment expliquer que jamais je ne vis dans l'atelier de Gabriel, de tubes de couleurs, ni de pinceaux, ni l'ombre d'une palette ?

CT

jeudi 6 janvier 2011

1998


Soyons clairs, le foot, je n’aime pas ça. Courir après une balle m’a toujours semblé un peu… abject, et gamin je ne pouvais pas comprendre qu’on ne leur file deux ballons. Alors la coupe du monde, la coupe du monde… qu’en dire ?

Plantons le décors, peut-être, pour un peu mieux saisir. 1998, Mitry-Mory, petite ville de banlieue. Et moi, dans cette ville, 14 ans, adolescent parmi les adolescents, mais gras et sans saveur. Un petit gros.
En fait, non, je recommence. Si l’on veut comprendre, il faut remonter bien plus loin, bien avant ces 14 ans, quitter cet âge pour aller dans l’enfance même, mais alors cette écriture prend le risque d’être moins une écriture de croisière que je ne l’envisageais. Aller dans l’enfance, pourquoi pas, mais toujours avec prudence, car dans ces eaux troubles je me perds toujours un peu trop facilement.

L’essentiel : je détestais le sport. Un rejet viscéral, rejet qui répond lui même à ce foutu hors-jeu dans lequel j ‘étais d’emblée classé. Hors-jeu du sport, car hors-jeu bien plus global de l’utilisation du corps : verrouillage méthodique de toutes sensations, puis par la suite blocage de toutes les émotions, parvenir à anesthésier la vie, à peine respirer et ne pas faire de bruit ; ne plus faire de bruit. Ne pas se faire remarquer, une obsession qui durera 18 ans. Et 18 années, c’est assez long, finalement !

Et donc cet été sans saveur, soudainement la vie qui arrive avec tout son bordel, mon frère et ses amis envahissant le jardin, embarquant mes parents dans un mouvement colossal d’énergie et de bonne humeur, auquel le sort entier de l’Humanité semblait être lié. Ca y est, la France est en finale, et je crois n’avoir jamais vu mon frère aussi heureux

[je revois la photographie de ce gros de 14 ans, le visage peint en bleu-blanc-rouge, un sourire forcé pour lui aussi paraître heureux, et le drapeau est peint à l’envers]

En route pour Paris, place de l’Hôtel de Ville, une des premières fois sans doute, et ces milliers de personnes emplissant tout l’espace, l’esthétique très frappante de cette vue, et quelques 10 ans plus tard, quand je vivrai justement à deux pas de cette même place, souvent en la parcourant je me souviendrai en filigrane l’impression ressentie lors de cette première fois, et les images se superposeront alors étrangement, me plongeant avec force dans le vertige de la non-certitude, de l’hésitation diffuse : sommes nous maintenant ou avant ? ET il y aura alors toujours ma main qui se posera instinctivement sur mon ventre pour le sentir plat, et pour me rappeler ainsi que nous sommes maintenant.

[je revois la photographie de ce gros de 14 ans, le visage peint en bleu-blanc-rouge, un sourire forcé pour lui aussi paraître heureux, et le drapeau est peint à l’envers]

Des bousculades sur l’esplanade, un écran géant et des canettes de bière partout, des gens accrochés aux lampadaires, mon silence intérieur que je m’impose se fissure et je ressens enfin cette foule, j’effleure très légèrement une sensation après laquelle je courrai comme un forcené une fois devenu adulte, celle de faire parti d’un tout. Je n’ai aujourd’hui toujours pas les mots pour mettre dans une boite la chose, mais je la retrouve parfois au détour d’un livre, plus rarement d’une musique, ou parfois encore au milieu d’un groupe qui danse, aveugle et sourd. Se diluer dans l’Humanité, perdre son individualité, ne plus être soi –avec ses histoires et sa pensée- et devenir le tout, pour finir même par perdre les limites de son corps et n’être plus qu’un groupe avec tant de bras et de jambes, tant de peaux unies ; nous ne sommes plus limités, nous ne sommes plus un. Se fondre dans le groupe et aimer, se fondre dans cette foule et alors nous sommes l’Humanité, nous sommes nous même comme nous aurions pu être un autre, car sans distinction et ayant été placé dans un corps au hasard, nous sommes le tout.
Plus rare, et cependant si bon, quand ce même sentiment surgit dans les pages d’un livre, quand l’Essence même de l’Homme se trouve ici, quelle joie et quel apaisement d’être compris et de comprendre, de se découvrir des semblables.
Comme une résonance de ce premier instant, je continue à croire que les moments où nous fondons notre individu dans une énergie de groupe est le premier pas, et que la découverte et le travail de ce sentiment océanique, peut-être par la littérature, nous mènera encore plus en avant sur la recherche de l’Humanité.

Donc voilà, cette satanée place de l’Hôtel de Ville qui finalement me force, ne me laisse pas le choix et m’impose sa masse salvatrice. Et mes parents, laissant mon frère, me ramène en banlieue pour voir le match à la télévision, et je m’endors dès les premières minutes, épuisé par la découverte de l’Humanité que je viens de faire.
Victoire de la France, 3-0, et nous repartons pour les Champs Elysées où la ville s’enflamme, mais cette agitation ne provoque plus en moi qu’un ennui amusé, et tout cela me semble alors bien excessif et artificiel, je ne retrouve pas l’énergie brute rencontrée plus tôt dans la soirée, et je redeviens râleur.

Alors oui, bien sur, la coupe du monde, c’est la banlieue qui se permet enfin de venir à Paris, c’est chouette l’abolition des frontières invisibles, c’est chouette cette tolérance d’une journée, c’est beau, même, sans doute ! Et c’est chouette tous ces jeunes qui retourneront chez eux le lendemain matin, qui essuieront leur audace et continueront à s’autocensurer lorsqu’ils viendront à Paris, se cantonnant toujours aux mêmes quelques quartiers. Alors oui, bien sur, c’est chouette la coupe du monde, la France black-blanc-beur, tous ces « intégrés », comme on dira au 20 heures, tous ceux pour qui on prône l’intégration, alors qu’ils sont dans leur propre pays ! Ce même pays qui hissera Le Pen au deuxième tour des présidentielles seulement trois ans plus tard, sans aucun souci d’incohérence ! Alors oui, bien sur, c’est chouette le sport, c’est une solution à tout, à la morosité, aux racismes, à l’intolérance et au gris du ciel, et ça résoudra même sans doute la crise, non ?…

Alors voilà, avoir 14 ans en 1998, c’est en avoir 25 en 2010, et c’est regarder le chemin parcouru d’abord par soi, et puis par notre beau pays ! C’est regarder son ventre, et aujourd’hui sourire de ses vieux complexes. C’est regarder la situation politique, et se demander amèrement si la « tolérance » et l’amour de cet été 98 ont porté leurs fruits ? C’est regarder la joie des français dans de tels moments, et c’est comme sourire devant un gamin qui peut passer du rire à la colère en quelques secondes. Sauf que le gamin, lui, grandira…

GB

Il faisait chaud (1/5)


Il faisait chaud. Juillet dans la campagne portugaise ne pardonne pas. Le volant était brûlant, je revenais d'une fontaine à eau fraîche, j'appuyais sur la pédale car je ratais déjà le début du match...
La radio allumée, le commentateur à l'accent brésilien voulait absolument mettre dans sa poche toute la Lusitanie, mais comment pouvait-il être aussi innocent pour ne pas connaître l'amour que ce peuple porte à la France?Il faisait chaud. J'appuyais sur la pédale...

Il faisait chaud (2/5)


Mon frère se trouvait à coup sûr à l'étage. Un esprit jaune et vert régnait dans la maison. Serait-ce cette même langue qui l'approchait tant de cette équipe? A-t-il oublié son enfance? Il m'était difficile d'y croire. Mon cœur à moi battait bleu blanc rouge... Il faisait chaud.

Il faisait chaud (3/5)



« Gooloooooooooooooooooooooooooooooooooooooo» criais-je, mais pourquoi ai-je utilisé le portugais?

Il faisait chaud (4/5)


Et de deux ! Mon frère se pliait sur le canapé... une rage de mauvais perdant naissait en lui. Je profitais bien de ce moment pour l'énerver. Il faut dire que j'ai toujours été vilaine sous cette façade d'ange...

Il faisait chaud (5/5)


… une étoile... il faisait chaud... mon frère rouge de rage... la France en délire... le brésil en deuil... le Portugal indifférent!

Le monde en coupe


1998. Coupe du monde de football. Ça fait des mois qu'on nous rabache les oreilles avec ça, au point d'occulter les autres informations.

Le foot, c'est un peu comme la bagnole, ça fait ressortir des aspects obscurs des personnalités. De grands rebelles se révèlent alors de fabuleux "homo ballonrondus", reconnaissables à leurs bières et aux beuglements caractéristiques qu'ils poussent en chœur lorsque la balle réussi à feinter le gardien, ou pas. Les cris diffèrent alors, un peu comme la sirène du premier mercredi midi quand elle s'éteint. Défouloir émotionnel moderne, comme les exécutions jadis. Le foot semble alors être un moindre mal.

J'ai profondément haï les sports co' du jour où, au basket, m'apprêtant à rattraper une balle sur le point de sortir, commençant à allonger le bras, il s'est trouvé saisi, retenu en arrière par la main d'une joueuse du camp adverse, le ballon rebondissant inéluctablement à l'extérieur des limites du terrain... Je ne crois pas avoir envoyé mon autre main dans sa figure. Je me souviens bien, par contre, que l'arbitre n'a pas sifflé la faute. "Pas vue, pas prise!" Chiqué.

A quoi bon regarder des gens jouer à ne pas respecter les règles sans se faire prendre?

Et puis, l'engouement s'étend, enfle. Les filles de mon entourage s'y mettent peu à peu. Il faut dire que le sex-appeal des joueurs, leurs liens avec le monde du mannequinat (Eva Evangelista entre autres) et le glamour qui s'y rattache y joue pour beaucoup. Gentlemen footballeurs.

Le lynchage en règle d'Aimé Jacquet par les journalistes sportifs, l'acharnement qu'ils mettent à pourrir son image me pousse beaucoup plus à soutenir l'équipe. Je n'aime pas les groupes qui se renforcent en détruisant autrui. Méprisable.

La force de caractère dont il fait alors preuve, le soutien des joueurs... peut-être que ce lynchage a renforcé la cohésion du groupe ? Quand l'intégrité du groupe est remise en cause, on oublie les divergences, on se soude. Une équipe. Une vraie.

Une machine à rabattre les claques-merde. Indestructible. Parce que. 
Autre gros titre, le "black, blanc, beur" : une nouvelle recette nationale, sorte de "jambon-beurre" sportif ?

Dans l'armée, les troupes métissées c'était surtout dans la légion. Gagner sa nationalité par le "mercenariat". Gagner le respect par la victoire sportive. L'immigration choisie. Ça fait mal. Ça fait mal pour les autres, tous les autres, ceux perdus sur d'autres champs, de vraies batailles. Ça fait mal d'entendre claquer les drapeaux des nationalismes, de voir fleurir les communautarismes. Les gens font la fête, les uns contre les autres. Jusqu'à la finale. Et là, c'est un petit miracle dans Paris. Les barrières culturelles s'effondrent et la joie déferle dans les rues. La place à côté est tellement pleine de voitures qu'elles n'avancent plus. Les gens sortent de chez eux avec les enfants. On pleure, on rit, on est heureux, libres. Libres? Soulagés et fiers. Je suis fière pour eux. Même les brésiliens, pris dans la tourmente sèchent leurs larmes et se laissent emporter par la liesse. C'est la victoire du sport, le vrai. C'est beau des moments comme ça. Ça fait du bien. L'Homme est aussi capable de ça. "Aide-toi, le ciel t'aidera !"

Et puis… la tempête l'année suivante. Et puis le 11 septembre, la peur, la haine. Le profit personnel qui ronge l'économie...
Et si on changeait ?

Liliblues, Paris le 18 septembre 2010

Le mondial selon Sophie

J'ai fait la connaissance de Sophie dans des circonstances somme toute assez banales. C'était lors d'une excursion organisée par l'association des étudiants en histoire de l'art de l'université de Lille 3. L'objet du déplacement était la cathédrale Notre Dame de Chartres.

Nous revenions de visiter l'édifice médiéval et je m'étais engouffré dans le bus quand il prit à Sophie - ainsi se prénommait celle qui me suivait et que donc je précédais - l'envie de me parler. C'est de la sorte que nous avons sympathisé. Échange de parole d’abord, échange de regard ensuite et échange de numéros de téléphone deux jours plus tard, à moins que ce ne soit une semaine.
A vrai dire, avec le recule je dois avouer que ma perception du temps est assez marquée par les doutes qui me taraudaient alors quant à la nature de cette première rencontre.

Mais d’une chose je suis certain : il a fallu deux à trois mois, si ce n'est plus, avant que je ne sois invité à l’anniversaire de Sophie et que, comme on dit dans le langage adolescent, nous ne sortions ensemble. A croire qu'avant qu'un garçon et une fille désireux d'être ensemble ne se rencontrent, qu'importe avec qui ils sortent - ami(e)s ou parents - dans le fond ils sont toujours seuls.

Cela dit, si je vous parle de Sophie, ce n'est pas pour faire une analyse des amours adolescentes, d'autant qu'au moment dont je vous parle nous nous éloignions, l’un et l’autre, de manière réciproque, imperceptible et involontaire, farouchement de l'adolescence. C'est plus parce que c'est avec Sophie que j'ai suivi l'aventure des bleus dans le cadre du mondial de 1998, devenu célèbre, ou comme dirait si justement un ami : « passé à une postérité sociologique imprévisible ». Et de poursuivre : « le panthéon ne reçoit pas que des morts aux actes mémorables, mais aussi des vivants aux actes éphémères. »

Bref, cette période coïncide pour moi avec la découverte du monde de Sophie. Et quand je vous parle du monde de Sophie, je ne fais pas allusion à l'ouvrage homonyme de Jostein Gaarder qui fut un événement éditorial sorti en France, trois ans avant l’événement amoureux et footballistique dont je suis en train de vous parler.

Le monde de Sophie, disais-je, avait cette particularité, contrairement au mien, de donner l'impression d'être bien organisé, constant, voire « rangé ». En effet, cette jeune demoiselle alors âgée d’une vingtaine d’années avait pour amis, un groupe qu'elle fréquentait depuis au moins le collège, si ce n'est l'école primaire. Disons pour être clair qu'elle avait des amis d’enfance.
À l’inverse mon monde était fait de rupture et d'éloignement. J'ai eu des amis, je les ai perdu de vue, j'en ai eu d'autres que j'ai à nouveau perdu de vue. Mais au moment où je faisais la connaissance de Sophie, mon univers s'était tant bien que mal stabilisé. Je vivais dans une famille depuis près de 6 ans. J'y resterai 2 ans de plus avant que de ne prendre un début d'indépendance. Celle-ci prit effet au moment ou j’ai quitté la banlieue lilloise pour aller poursuivre mes études à Paris.

Mais à la période que j'évoque ici, j'étais à Lille et le mondial bâtait son plein. Cet événement fut pour moi l'occasion de côtoyer les amis de Sophie. La sensation que je garde de ce moment là de mon existence, c'est que, bien que solitaire, j'avais beaucoup d'amis mais, dans le même temps, je plongeais pleinement dans l'univers de Sophie, et laissait mon monde à l'arrière plan. Jamais par exemple Sophie et moi n'avons passé une soirée avec mes amis. Par contre le nombre de soirées passées en compagnie de ses amis ne se compte pas et puis d'ailleurs, cela ne me posait aucun problème, bien au contraire. J'étais assez friand de faire de nouvelles rencontres et plus précisément de mettre mon univers entre parenthèses. De plus, mes amis et moi étions peu adeptes des réunions de groupe. Nous en avons certainement organisé et avons sans doute participé à certaines mais je n'ai pas souvenir que le groupe ait eu pour nous l'importance qu'il semblait revêtir pour Sophie et ses amis.

Les camarades de Sophie, garçon ou fille avaient des personnalités affirmées, hautes en couleur.
Z., par exemple, se distinguait par sa constance à porter des vestes et à être toujours très élégamment sapé - pour reprendre une expression d'obédience zaïroise. Enfant de la deuxième génération issue de l'immigration maghrébine dans l'agglomération lilloise, rien chez lui, dans son accoutrement ne trahissait un quelconque lien avec celle-ci. Il était comme on dit dans le jargon, bien intégré. Il avait appris ou compris ce sacerdoce républicain ; et l’habit fait le moine.
Stephen, quant à lui, était batteur de jazz. Deuxième enfant d'une famille de trois, issu d'un mariage mixte franco-suédois, il se destinait clairement à faire carrière dans le jazz. Carrière qu'il poursuit toujours, tout comme son frère aîné, lequel est pianiste. Tous deux jouent actuellement ensemble dans un trio qui porte leur nom.

Ralph était quant à lui désigné comme le fondu de l'Inde. Je n'ai pas souvenir qu'il ait des liens particulier avec l'histoire de l'immigration. Tout ce que je sais et qu'il m'importe de signaler ici, c'est qu'il jouait du saxophone, que c'était un étudiant brillant et que c'est chez lui que je suis tombé sur une autobiographie de Miles Davis. Laquelle autobiographie allait, un peu plus tard, m'ouvrir les portes de l'univers du jazz. Dans le groupe, il y avait également une fille dont j'ai oublié le prénom et qui dans mes souvenirs se présente comme une féministe convaincue, presque convaincante, mais avant toute chose adoratrice de l'œuvre de Marguerite Duras. Elle avait un franc parlé que j'appréciais beaucoup.

Ah… J'étais sur le point d'oublier la copine de Z., il faut dire qu'étant la copine de Z., disons qu'elle m'apparaissait plus effacée, plus en retrait que les autres. Sans doute parce que, comme c'est bien souvent le cas, quand on est, ce que l'on nomme maladroitement, « une pièce rapportée » dans un groupe depuis si longtemps formé, il est plus difficile de trouver sa place et de s'affirmer.

Et plus j'y songe et plus je me dis qu'on peut, peut-être, mettre en parallèle, la difficulté qu'éprouve à se faire une place dans un groupe depuis longtemps constitué une « pièce rapportée » et la difficulté que rencontrent les immigrés à se faire une place au sein des nations depuis longtemps constituées. Nations parmi lesquelles se trouve la France bien évidemment. Il m'apparaît avec d'autres qui y ont songé bien avant moi, plus que jamais, intéressant de s'interroger sur le concept de nation à l'heure où cette invention est remise en question par le phénomène de mondialisation. C'est sans doute le meilleur moment parce que c'est à l'instant où l'on le démonte qu'il est plus propice d'en observer le mécanisme et d'en révéler les failles, les travers, voire les dysfonctionnements. Mais mon hypothèse avancée ne résiste pas à l'analyse, il n'y a qu'à regarder les conflits qui naissent dans des nations beaucoup plus jeunes que la France. Non… Décidément, je crois que tout repose essentiellement sur le fait que dès lors qu’on pense en terme de groupe on pense presque inévitablement exclusion. Est-ce à dire pour autant que le groupe est par essence une formidable machine à exclure ou plutôt à produire de l'exclusion ? Comme je ne crois pas à l’essence, je m’interroge : mais alors, quel serait le remède à ce mal ? Et là je suis tenté de répondre : sa capacité à s'ouvrir, à s'affranchir de ses propres limites, en d'autre termes sa flexibilité. Après tout l’homme est au fondement du principe même de groupe, il est donc en mesure d’en définir les contours.

Mais tandis que j'entre dans ces digressions, je m'éloigne de la belle Sophie... Que dire d'elle ? Si ce n'est que j’étais surpris par sa timidité que je jugeais presque maladive. Ma surpris tient au fait qu'à première vue, Sophie me donnait plutôt l'impression d'être une personne très sur d'elle. Mais plus tard, je comprendrais qu'elle et moi étions quelque part semblable. J’entends par là que fondamentalement nous n'étions pas timides, mais que nos expériences respectives de la vie nous avaient appris à faire preuve de beaucoup de réserve et à ne rien prendre pour argent comptant.

En toile de fond de ma découverte de l'univers de Sophie, l'équipe de France passait progressivement les barrages de la coupe du monde en éliminant un à un ses adversaires jusqu'aux quarts de final. Dès cet instant, nous avons commencé – Sophie, ses amis et moi - à y croire et à nous rassembler autour du poste de télévision, pour suivre l'aventure des bleus. Notre idéal d’une France unie par delà ses différents et ses différences était en route. Nous devions la soutenir. Que dis-je ? Nous avions obligation morale de la supporter vers son but. L’équipe de France qualifiée pour les demi-finales, cela à donné lieu à des scènes de liesse dans les rues de la ville de Roubaix, où nous nous trouvions, et partout ailleurs dans le pays.

Nous avons fait parti de ces gens qui sont sortis crier leur joie dans les rues avec leurs voisins. Toutefois, soyons précis. Je dis nous mais je n'ai pas participé à tout ça. Et ce, bien qu'heureux de voir ces manifestations de joie et solidaire de tout ce tapage. Car il y avait, en effet, quelque chose de grisant dans les coups de klaxons qui résonnaient dans les rues de l’agglomération. La joie, le bonheur ont une force à laquelle tout individu normalement constitué, c’est à dire doué de sensibilité ne peut résister. Oui, je dois le reconnaître, il était excitant de voir les passagers des voitures circulant à vive allure sur l'avenue du parc Barbieux brandir ces drapeaux tricolores. Ils auraient certes pu être d'une autre couleur l'important étant ce qu'ils signifiaient pour nous à ce moment là, à savoir un rêve qui se concrétise, se réalise.

Le sport est fédérateur dit-on. Mais je n'ai pas totalement participé à la folie qui s'était emparé des Français. Je doutais de cette nouvelle idole autour de laquelle on nous invitait à danser. Je restais donc sur mes réserves d’autant que j'avais un vieux compte à régler avec ce « pays de malheur » - pour reprendre le titre de l'ouvrage à deux mains du sociologue Stéphane Beaud. Ah la France et son administration légendaire ! Mais j'y viens. Pour l'instant c'est encore le football et la fête qui m'entourent qu'il m'importe d'évoquer.

La qualification de l’équipe de France pour la finale fut le gâteau sur la cerise. J'ai bien évidemment vécu la victoire des bleus en finale face au Brésil, en compagnie de Sophie et de ses amis. Mais ma joie était toujours mitigée car quelque chose au fond de moi m'empêchait de prendre pleinement part à la fête. Quelque chose au fond de moi me retenait d'accepter la part de gâteau qui m'était tendue. Et ce quelque chose n'était autre que le contentieux que j'avais à régler avec la politique française sur la question migratoire. En effet, à l'époque j'étais détenteur d'un titre de séjour « provisoire » - comme il est si joyeusement spécifié sur le document, au cas où il prendrait l'envie au migrant, ou à l’immigré doux rêveur que j'étais et que je suis, d'oublier que son séjour relevait du provisoire.

Ah, maudit titre de séjour ! Document dont le renouvellement annuel me causait le plus grand désagrément. Une semaine avant de me rendre à la préfecture pour remplir les formalités, j'étais pris de terribles crises d'angoisses qui se manifestaient par des insomnies récurrentes avant la date butoir. A cette date précise, le sol national se dérobait sous mes pieds. Je flottais dans le vide et en dessous de moi il y avait un gouffre, un abîme, dans lequel je ne voulais pas sombrer. Mais comme chacun sait, dans ces moments là, notre imagination et sa capacité à anticiper, nous fait vivre ce qui ne s'est pas encore produit. Et je vous prie de me croire : par moment, l'imagination dépasse la réalité.

Ceci étant, mon inquiétude n'était pas liée au seul fait que mon séjour puisse ne pas être reconduit. Non, c'était surtout l'accueil – je devrais plutôt dire l'absence d'accueil - qui nous était réservée à nous autres immigrés, dans les bureaux de la préfecture - qui générait en moi le plus d'angoisse.

Dans ce lieu nous avions tous l'air de pauvres misérables qui venions faire l'aumône. Et l'ambiance était teinté d'un racisme à peine voilé. Lequel racisme s'exprimait aux travers de propos de fonctionnaires zélés peu enclin à la compassion. Des propos tels que « je ne vois que du noir aujourd'hui, je dois avoir un soucis aux yeux », hurlés dans les couloirs de l'administration afin que chacun d'entre-nous en goûte la saveur ou la finesse, selon, ne laissait aucune ambiguïté quant au sens profond de ces paroles tant, dans le ton de la personne qui les proférait, que dans la forme qu'elle lui conférait, il y avait un mépris évident. Mépris pour les gens dont pourtant l'accueil garantissait à ce fonctionnaire aigri son propre salaire, sa propre pitance. Mais bon, peut-être y avait-il trop longtemps que ce dernier mettait de l'eau dans son vin et que dégoûté, et surtout incapable d'assumer les mauvais choix qu'il avait fait toute une existence durant, il n'avait pas trouvé mieux que de s'en prendre à plus faible que lui. Je dis faible, mais entendons nous bien, affaibli non seulement par les tracas quotidiens dans lesquels il se dépêtre, mais également par les vicissitudes liées aux conditions réservées aux immigrés par la politique migratoire française. Mais passons.

Tous ces éléments contenus en moi, faisaient que je ne pouvais pleinement prendre part à ce carnaval qui avait été spontanément improvisé dans les rues de France. Je ne pouvais adhérer pleinement à la joie des supporters de l'équipe de France. Disons le simplement, j’émettais quelques réserves à tout cela.

Il m'est même arrivé, durant toute une période de toujours soutenir l'équipe adverse, par principe. De la même manière que dès lors qu'une équipe était annoncée favorite, qu'il s'agisse de l'équipe de France ou d'une autre, je soutenais celle dont la victoire n'était pas assurée. Le défi pour moi se trouvait là et pas ailleurs.

Bref, la victoire des bleus acquise, Sophie, ses amis et moi avons suivit le cortège bruyant qui, si mes souvenirs sont exacts, avait pour destination la Grand Place de Lille. Mais plus nous nous approchions du lieu du rendez-vous, plus l'enthousiasme de la foule déclinait. La conclusion que je tire aujourd'hui de ce progressif désintérêt pour la fête, c'est que tout ça n'était qu'une simple euphorie collective. Une grande mascarade. Je veux dire par là, que c'était une joie passagère, non construite, presque sans objet. Il faut dire qu'une victoire sur un terrain de foot demeure une victoire sur un terrain de foot. Certes, cette joie était la manifestation du souhait d'une grande majorité des français de ma génération de voir sa part cosmopolite prendre les devants et pleinement exister. Mais cela se passait sur un terrain de football et de là à ce que cette joie déborde sur le terrain de la réalité, beaucoup n'y croyaient pas. Passé la griserie, venait la réalité et ses droits, ses obligations. En somme, le quotidien d'une France, sans doute consciente qu'elle avait un problème avec ses étrangers mais qui ne savait décidément pas par quel bout empoigner ce qui faisait son défaut pour en faire une qualité.

Ma génération savait qu'elle n'avait que si peu d'influence sur la sincérité des liens que l'institution France avait noué avec une partie de sa population. Sincérité, vidée de son sens, galvaudée, bradée par dessus le marché pour des intérêts dont aujourd'hui encore je peine à trouver la teneur. Mais d'une chose je suis sûr, cet intérêt placé plus haut que le bien être ou le simple bon accueil d'une partie de la population - immigrée, bon gré, mal gré - n'en valait pas la chandelle.

Cela étant, les immigrés ne sont que la partie visible de l'iceberg, ils ne sont pas les seuls à pâtir de ce mépris dont fait preuve l'institution France à l'égard des siens. Mais je ne tiens pas m'étaler sur la question. D'autres occasions se présenteront, alors je développerai.

Pour l'instant, disons juste qu'aujourd'hui en France chacun tient à garder sa place et que dans chaque institution la peur semble être le seul ferment qui lie les individus les uns aux autres. La crise n'arrange rien à l'affaire. Et puis, dans les lieux, espaces culturels, musées où la France devrait interroger son rapport aux autres, c'est le même consensus mou qui domine, règne et dicte sa loi.
Cette atmosphère délétère, ne rend nullement service, ni à l'institution France, ni aux citoyens français. Bien au contraire.

Et je suis français, même si certains en doute. Je dis cela parce qu'au moment où je vous parle, le ministère de l'immigration et de l'identité nationale à lancé un débat sur devinez quoi ? L'identité nationale. Mais bon sang où va-t-on? Je n'ai pas besoin d'un débat sur l'identité nationale pour savoir ce que c'est que d'être français. La seule différence, tient peut-être dans le fait que je n'ai pas une conception crispée de la nationalité, contrairement à ceux qui ont lancé cette mascarade. Car il s'agit bien d'une mascarade, et au mieux rien ne sortira de tout ça. Au pire, sur un papier on inscrira quelques banalités qui seront aussitôt caduques, nulles et non avenues la seconde d'après mais qui, en attendant, feront des dégâts colossaux dans la psyché d'un certain nombre d'individus. Des individus que quatre générations plus tard on nommera toujours « issues de l'immigration » et ceci bien que l'on sache que la grande majorité des Français est issue de l'immigration.

Et tout ça parce quelques politiques en manque d’imagination et de projet, juste intéressés par leur petite personne, brassent de l'air tout en feignant, par fainéantise de ne pas comprendre ce propos de Maryse Condé, selon lequel : « l'identité ne se dit pas, elle se vit ! ». Les seules choses qui restent sur un papier sont des lois qui définissent des règles, un cadre et un espace pour le vivre ensemble. De la même manière que sur un terrain de football des lignes déterminent les limites du terrain et que l'arbitre est là pour faire respecter les règles. Le concept de « français de souche » qui circule actuellement est nauséabond car il n'est pas loin de l'idée de pureté dont nous connaissons tous bien les dérives. Cela fait froid dans le dos surtout lorsque l’on s’entend avec le poète William Carlos Williams pour dire que « les pures produits deviennent fous ».

Mais, Sophie dans tout ça ? Me direz vous... J’y viens… j’y reviens. Non, j’y suis encore et toujours. Elle est le fil conducteur, je la suis, elle qui me rassure et m’empêche de croire que la situation est désespérée et que rien ne peut-être sauver.

Quelques temps après le mondial, Sophie s'est décidée à prendre le large en direction de l'Angleterre et à nouveau je perdais mes repères. Un an plus tard à mon tour je prenais mon envol vers Paris, la capitale. Il fallait bien que nous quittions définitivement l’adolescence, que nous poursuivions nos espoirs, que nous tentions notre chance dans ce monde, dans cette vie qui ne nous promettait pas grand chose à part peut-être de la sueur et des larmes. Plus tard, bien plus tard, Sophie et moi nous nous sommes recroisés une ou deux fois puis plus rien si ce n'est le silence. Pourtant, de temps à autre il m'arriverait de penser à elle comme on songe aux gens dont on se dit que certainement plus jamais on ne les reverra, parce qu'on n'a gardé aucun contact ni avec eux, ni avec un de leurs proches.

Il faudra attendre, une dizaine d'année et l'invention du célèbre réseau social sur internet pour que le souvenir de Sophie revenant à nouveau à mon esprit, je me décide à reprendre contact avec elle. Nous nous sommes donc revus et avons évoqué ensemble le temps passé, nos chemins parcourus et bien sur le souvenir d'amis en commun, mais pas le bon vieux temps. Car de bon vieux temps pour nous il n'y en a pas. Nous sommes bien trop jeunes pour radoter et puis nous pensons surtout que le bon vieux temps reste à venir. La vie, il faut la vivre pour la raconter. Telle est la devise de notre génération. Il faut dire que nous sommes convaincus que jusque là nous n’avons fait que commencer à recoller des morceaux de nos histoires pour pouvoir enfin commencer à vivre et donc à nous raconter en évitant tant que faire se peut de "nous la raconter", comme on dit.

Aujourd'hui, à quelques jours du nouveau mondial 2010 qui se tiendra en Afrique du Sud, je viens d'apprendre que l'équipe de France - grâce à une main de Thierry Henry - s'est qualifiée au détriment de l'Écosse. Et sans vouloir faire de mauvais jeu de mots, j'en ri. Mon intérêt pour le football, se limitant désormais au parti en amateur que nous faisons parfois entre amis. J'ai, effectivement fini par admettre ce que d'aucuns n'avaient de cesse de me rabâcher, à savoir que dès l'instant où l'argent se glisse dans les jeux d'enfant, on érige un simple jeu à un degré d'avilissement tel qu'il en perd toute sa saveur première.

Dorénavant, je considère le football professionnel pour ce qu’il est devenu. A l’exemple de la quasi-totalité des activités humaines, ce n’est ni plus, ni moins qu’un gros business. Et, il me fait penser à ces poules que l'on élève en batterie, à ces fruits que l'on fait pousser sous serre. Alors, sans vouloir le parodier, je m’interroge avec Bashung - paix à son âme de grand Monsieur : « La vie sous serre, à quoi ça sert ? ».

Bref, autant parler de la fin de la simplicité, et de toute authenticité, au sens de toute sincérité. Et il m'est soudain étrange de constater que le fait de complexifier une chose – à l’origine somme toute simple - soit devenu la marque de fabrique du professionnalisme. Et ce, alors que dans le même temps l'on admire les gestes simples. Décidément, une bonne partie de l'humanité ne sait pas comment se divertir du temps qui passe.

Le temps a passé, j'ai obtenu la nationalité française après moult tracas et le plus marrant dans l'histoire – ironie du sort diraient d'aucuns - c'est que je travaille depuis bientôt trois ans dans une institution qui oeuvre pour l'insertion professionnelle des laissés pour compte. On me parlera d'intégration, et moi j'évoquerais le temps perdu avant que de ne pouvoir prendre part à la chose public. J'évoquerais également, la peur de perdre ses papiers, le doute qui vous assaille quant à votre avenir sur le territoire national. Les envies d'agir pour que les choses changent, mais toujours repoussées au lendemain parce qu'une voix s'est immiscée dans votre esprit qui vous dit que vous n'êtes pas ici chez vous, que vous n'êtes pas le bienvenu. Alors vous repoussez le rêve à plus loin, à plus tard en espérant ne pas devenir fou d'avoir tant de chaînes à vos pieds et dans votre tête.

Allez : "Soldat sans joie, va déguerpie..." l'amour est ta fosse et ta compagnie !


Bamako, le 6 novembre - Paris, 4 mai 2010

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