Les anges ont créé Dieu pour que l'on croie aux anges. Mais ils ont dus laisser filer le Temps, cet assassin qui inventât la Mort sous enveloppe humaine. Il a fallut dépêcher à tire-d’aile des moissonneurs très particuliers, des mareyeurs qui récoltent ces pellicules sénescentes semées par le retrait du Temps.
12 juillet 1998. Cordes-sur-Ciel.
Arrimée sur un mont séculaire du Tarn, Cordes-sur-Ciel se détache de la terre à certaines saisons, comme pour indiquer aux êtres que les pierres ont été posées ici de fait divin. Un doigt invisible dessine alors un brouillard cristallin que le soleil allume, et la cité prend son envol immobile le temps d'un réveil. Cordes-sur-Ciel: le ciel est descendu à Cordes pour y amasser un peu d'éternité, car les pierres ont le privilège d'être façonnées du temps qu'ont mit les hommes à apprendre la Beauté.
Le soir à Cordes se fait pas furtif sur les pavés: c'est un allumeur de réverbère qui se dépêche d'enflammer la cité. Puis celui-ci, avant tout le monde, se lève au matin, éteint la nuit et met ses habits de cocher afin de conduire élégamment le soleil au-dessus de Cordes qui revêt les haubans de Phébus sur sa peau de damier minéral de grès rose et blond.
Le voyageur distrait s'aventure de peines à Cordes mais ne quitte pas la montée centrale où, il est vrai, s'éploient les façades gothiques du 13ème siècle les plus fameuses qui narrent l'histoire de cette cité d'une voix figée de pierres sculptées en haut-relief. Mais nul n'en a encore saisi les basses fréquences...
Rue Saint-Michel. A travers les hourras!
De l'église du même nom, cette rue descend vers la plus ancienne porte de la cité. Ebloui de merveilleux, l'œil survole les galeries d'art en nombre ici. L'esprit avide d'inouï se lézarde et s'ouvre sur une porte: deux ouvertures opposées et c'est un courant d'air qui vous propulse derrière une façade de pierres jointoyées de silence.
Pas tout-à-fait le silence.
Un léger frottement parvint à mon oreille à travers le rideau bruyant de la victoire des bleus. J'espérais en me retournant voir un nom qui m'indiquerait où je me trouvais. Pour toute réponse, un ciel bleu dans un cadre figurant une porte sans en être une. Pas de porte. A droite, à gauche, des tableaux: j'étais chez un peintre, mais je n'avais nullement pénétré chez lui. Je n'osais m'entreprendre d'un débat face à l'inquiétude qui se rebellait en moi. Le léger frottement reprit. J'avançai les mains pour mieux me diriger dans ce frêle bruit en papillon sonore. Je parvins au seuil d'un local empli de chevalets, de châssis assis dos aux murs, de matrices, d'essais jonchant le sol, et d'un tableau auquel travaillait un homme assis, que je devinai de dos tant il se confondait avec la toile criblée de bleu, nécrosée de bleu. Tout ce bleu était impossible, incompatible avec l'œil humain. L'homme se leva sans que ne bouge le bleu.
- Installez-vous! Vous êtes à l'heure. Etait-ce bien l'heure convenue? Je termine ceci et je suis à vous. Installez-vous, bissât-il coupant court à ma surprise d'une voix tendre que je reconnu sans la connaître. Tout en me tournant le dos, sa voix semblait me parler de face, stéréophonique d'hypnose. Puis il s'assit devant moi; sa voix lui était revenu à la bouche. Après s'être enquit de mon aise, il me demanda pourquoi j'étais ici à Cordes-sur-Ciel. Je ne su quoi répondre, craignant une réponse déjà devinée:
- Le tourisme, banalisai-je!
- Allons, allons, je vous connais. Pourquoi êtes-vous là?
Mon humaine surprise avait déjà quitté sa place en mon corps; il me restait tout de même un fond de révolte et d'offensive enfantine qui tente encore de faire le mur de l'incompréhension:
- Co... comment ça, vous me connaissez?
- Je sais que vous n'êtes pas un simple touriste. On ne revient pas sur un lieu touristique quatre fois en trois jours; alors?
- Mais justement Gabriel c'est parce que...
- Ah ha! Vous voyez, je vous connais puisque vous me connaissez, sinon je ne vous aurais pas invité! Vous me connaissez sans le savoir et vous deviez être là. Aujourd'hui. Car je vous cherchais.
- Gabriel, pardon mais expliquez-vous. J'ai beau aimer les paradoxes, mais même les subtilités nichées aux creux des oxymores m'apparaissent plus limpides que vos affirmations!
Et il débutât:
- Au commencement...
- Ah non! On dirait le début d'un mauvais roman, vous n'allez quand même pas me faire le coup de la Genèse?
- Non, non; surtout que la Bible est un faux en Ecritures. Bon... comment vous dire... Croyez-vous aux anges? Car voyez-vous beaucoup y croient parce qu’ils n’en ont jamais vu. C'est bizarre mais c'est ainsi: le merveilleux qui les maintient dans l'ignorance - ou l'inverse - se dissout quand s'incarnent leurs rêves.
Je ne pouvais qu'objecter de mon athéisme angélique; et pour parfaire mon scepticisme, je lui demandai pourquoi il était là, lui, s'il était bien l'ange qu'il voulait que je crusse.
- Je suis ici pour échapper aux autres emplumés; je me cache parce que j'en avais ras-le-bol du gardiennage. Nous autres garde-du-corps sommes de plus en plus amenés à faire la police devant l'insouciance des humains, l'inconséquence des êtres qui vivent comme s'ils étaient éternels. Nous avons échoué en créant un Dieu. Nous voulions un modèle auquel l'homme pourrait ressembler, un canevas mélioratif, un idéal pantographique. Nous l'avons créé pour que l'humain ait le courage de vivre, mais cet imbécile a cru bon l'enrober de la religion tant l'idée lui était inconfortable. On doit croire sans limite. La religion met des limites à dessein pour prélever ses droits de passage.
Le pire, c'est qu'en construisant un Dieu, nous avons manqué d'attention et laissé échapper le Temps qui ravage, depuis, la terre. Du coup, un décret fut promulgué et nous adjoignit la fonction d'éboueur en plus de celle de gardien de la paix intérieure de l'homme; inutile de vous dire que cela est impossible les septante premières années; après ça va mieux, de mieux en mieux, tellement mieux que nous nous retrouvons à moissonner des cadavres, des corps enfin en paix! Car voyez-vous, l'humain n'a vraiment la paix que lorsque la vie le quitte, il ne sait quoi faire avec la vie, comme si la rançon de la mort était la vie. Cette fonction d'éboueur m'était devenue pesante; je ne faisais plus que ça. J'ai bien posé réclamation, demandé l'aide des séraphins qui vont trois fois plus vite que nous avec notre seule paire d'ailes, proposé des aménagements, mais rien à faire; tout est cloisonné. Je ne voulais pas me laisser faire, mais à force de battre des ailes à droite, et surtout à gauche, on me mit sous bonne garde: trois archanges. Pour ne pas y laisser de plumes, je décidai de fuir: "sauves-toi le ciel ne t'aidera pas" me suis-je dis. Ah mon cher, si vous saviez comme le ciel est décevant désormais; il ne peut plus rien pour l'homme!
- Donc vous n'êtes pas déchu; vous êtes un ange déçu en somme!
- Tiens! ça me plaît, je retiens la formule. C'est vrai, je suis déçu, déçu, déçu...
Il ne pleura pas; un ange ne pleure pas; ne sourit pas non plus...
Le soir tombait froid. Je ne savais comment je me retrouvai sur les pavés de Cordes-sur-Ciel, pavés luisant d'une bruine qu'admonestaient les réverbères. Je sortais indubitablement du bleu envahissant d'un ange qui peignait le ciel ainsi que l'on tricote une couverture de camouflage, car comment expliquer que jamais je ne vis dans l'atelier de Gabriel, de tubes de couleurs, ni de pinceaux, ni l'ombre d'une palette ?
12 juillet 1998. Cordes-sur-Ciel.
Arrimée sur un mont séculaire du Tarn, Cordes-sur-Ciel se détache de la terre à certaines saisons, comme pour indiquer aux êtres que les pierres ont été posées ici de fait divin. Un doigt invisible dessine alors un brouillard cristallin que le soleil allume, et la cité prend son envol immobile le temps d'un réveil. Cordes-sur-Ciel: le ciel est descendu à Cordes pour y amasser un peu d'éternité, car les pierres ont le privilège d'être façonnées du temps qu'ont mit les hommes à apprendre la Beauté.
Le soir à Cordes se fait pas furtif sur les pavés: c'est un allumeur de réverbère qui se dépêche d'enflammer la cité. Puis celui-ci, avant tout le monde, se lève au matin, éteint la nuit et met ses habits de cocher afin de conduire élégamment le soleil au-dessus de Cordes qui revêt les haubans de Phébus sur sa peau de damier minéral de grès rose et blond.
Le voyageur distrait s'aventure de peines à Cordes mais ne quitte pas la montée centrale où, il est vrai, s'éploient les façades gothiques du 13ème siècle les plus fameuses qui narrent l'histoire de cette cité d'une voix figée de pierres sculptées en haut-relief. Mais nul n'en a encore saisi les basses fréquences...
Rue Saint-Michel. A travers les hourras!
De l'église du même nom, cette rue descend vers la plus ancienne porte de la cité. Ebloui de merveilleux, l'œil survole les galeries d'art en nombre ici. L'esprit avide d'inouï se lézarde et s'ouvre sur une porte: deux ouvertures opposées et c'est un courant d'air qui vous propulse derrière une façade de pierres jointoyées de silence.
Pas tout-à-fait le silence.
Un léger frottement parvint à mon oreille à travers le rideau bruyant de la victoire des bleus. J'espérais en me retournant voir un nom qui m'indiquerait où je me trouvais. Pour toute réponse, un ciel bleu dans un cadre figurant une porte sans en être une. Pas de porte. A droite, à gauche, des tableaux: j'étais chez un peintre, mais je n'avais nullement pénétré chez lui. Je n'osais m'entreprendre d'un débat face à l'inquiétude qui se rebellait en moi. Le léger frottement reprit. J'avançai les mains pour mieux me diriger dans ce frêle bruit en papillon sonore. Je parvins au seuil d'un local empli de chevalets, de châssis assis dos aux murs, de matrices, d'essais jonchant le sol, et d'un tableau auquel travaillait un homme assis, que je devinai de dos tant il se confondait avec la toile criblée de bleu, nécrosée de bleu. Tout ce bleu était impossible, incompatible avec l'œil humain. L'homme se leva sans que ne bouge le bleu.
- Installez-vous! Vous êtes à l'heure. Etait-ce bien l'heure convenue? Je termine ceci et je suis à vous. Installez-vous, bissât-il coupant court à ma surprise d'une voix tendre que je reconnu sans la connaître. Tout en me tournant le dos, sa voix semblait me parler de face, stéréophonique d'hypnose. Puis il s'assit devant moi; sa voix lui était revenu à la bouche. Après s'être enquit de mon aise, il me demanda pourquoi j'étais ici à Cordes-sur-Ciel. Je ne su quoi répondre, craignant une réponse déjà devinée:
- Le tourisme, banalisai-je!
- Allons, allons, je vous connais. Pourquoi êtes-vous là?
Mon humaine surprise avait déjà quitté sa place en mon corps; il me restait tout de même un fond de révolte et d'offensive enfantine qui tente encore de faire le mur de l'incompréhension:
- Co... comment ça, vous me connaissez?
- Je sais que vous n'êtes pas un simple touriste. On ne revient pas sur un lieu touristique quatre fois en trois jours; alors?
- Mais justement Gabriel c'est parce que...
- Ah ha! Vous voyez, je vous connais puisque vous me connaissez, sinon je ne vous aurais pas invité! Vous me connaissez sans le savoir et vous deviez être là. Aujourd'hui. Car je vous cherchais.
- Gabriel, pardon mais expliquez-vous. J'ai beau aimer les paradoxes, mais même les subtilités nichées aux creux des oxymores m'apparaissent plus limpides que vos affirmations!
Et il débutât:
- Au commencement...
- Ah non! On dirait le début d'un mauvais roman, vous n'allez quand même pas me faire le coup de la Genèse?
- Non, non; surtout que la Bible est un faux en Ecritures. Bon... comment vous dire... Croyez-vous aux anges? Car voyez-vous beaucoup y croient parce qu’ils n’en ont jamais vu. C'est bizarre mais c'est ainsi: le merveilleux qui les maintient dans l'ignorance - ou l'inverse - se dissout quand s'incarnent leurs rêves.
Je ne pouvais qu'objecter de mon athéisme angélique; et pour parfaire mon scepticisme, je lui demandai pourquoi il était là, lui, s'il était bien l'ange qu'il voulait que je crusse.
- Je suis ici pour échapper aux autres emplumés; je me cache parce que j'en avais ras-le-bol du gardiennage. Nous autres garde-du-corps sommes de plus en plus amenés à faire la police devant l'insouciance des humains, l'inconséquence des êtres qui vivent comme s'ils étaient éternels. Nous avons échoué en créant un Dieu. Nous voulions un modèle auquel l'homme pourrait ressembler, un canevas mélioratif, un idéal pantographique. Nous l'avons créé pour que l'humain ait le courage de vivre, mais cet imbécile a cru bon l'enrober de la religion tant l'idée lui était inconfortable. On doit croire sans limite. La religion met des limites à dessein pour prélever ses droits de passage.
Le pire, c'est qu'en construisant un Dieu, nous avons manqué d'attention et laissé échapper le Temps qui ravage, depuis, la terre. Du coup, un décret fut promulgué et nous adjoignit la fonction d'éboueur en plus de celle de gardien de la paix intérieure de l'homme; inutile de vous dire que cela est impossible les septante premières années; après ça va mieux, de mieux en mieux, tellement mieux que nous nous retrouvons à moissonner des cadavres, des corps enfin en paix! Car voyez-vous, l'humain n'a vraiment la paix que lorsque la vie le quitte, il ne sait quoi faire avec la vie, comme si la rançon de la mort était la vie. Cette fonction d'éboueur m'était devenue pesante; je ne faisais plus que ça. J'ai bien posé réclamation, demandé l'aide des séraphins qui vont trois fois plus vite que nous avec notre seule paire d'ailes, proposé des aménagements, mais rien à faire; tout est cloisonné. Je ne voulais pas me laisser faire, mais à force de battre des ailes à droite, et surtout à gauche, on me mit sous bonne garde: trois archanges. Pour ne pas y laisser de plumes, je décidai de fuir: "sauves-toi le ciel ne t'aidera pas" me suis-je dis. Ah mon cher, si vous saviez comme le ciel est décevant désormais; il ne peut plus rien pour l'homme!
- Donc vous n'êtes pas déchu; vous êtes un ange déçu en somme!
- Tiens! ça me plaît, je retiens la formule. C'est vrai, je suis déçu, déçu, déçu...
Il ne pleura pas; un ange ne pleure pas; ne sourit pas non plus...
Le soir tombait froid. Je ne savais comment je me retrouvai sur les pavés de Cordes-sur-Ciel, pavés luisant d'une bruine qu'admonestaient les réverbères. Je sortais indubitablement du bleu envahissant d'un ange qui peignait le ciel ainsi que l'on tricote une couverture de camouflage, car comment expliquer que jamais je ne vis dans l'atelier de Gabriel, de tubes de couleurs, ni de pinceaux, ni l'ombre d'une palette ?
CT