jeudi 17 mars 2011

POUR/QUOI... HORS /JEU ?


« la mimèsis de rien, c’est le jeu »
Philippe Lacoue-Labarthe



Être, hors, jeu ou être-hors-jeu: c’est littéralement sur un mode ternaire mêler et démêler selon une dialectique contrariée, l’ontologique, le sociétal et le ludique. Chacun de ces termes étant consubstantiels à l’autre. Notre ambition alors est de provoquer une insubordination, une dislocation dans cette rhétorique sage de mots, dans cette collusion systémique de concepts, dans cette suite linéaire de principes.

Ainsi être « hors jeu » : ce n’est pas être dans l’abandon ou le refus du jeu ou de ses règles mais c’est être dans le dévoiement malicieux de celui-ci et de celles-ci. C’est continuer à jouer de façon ouverte mais contradictoire, de façon affirmée mais dérisoire, de façon obvie mais têtue.
Il faut non pas jouer le jeu mais se jouer du jeu, déjouer l’enjeu.
Ce jeu et cet enjeu sont les métaphores et les champs où l’être, l’individu, la collectivité se (re)trouvent impliqués, conditionnés, soumis.

Prenant en compte ces logiques prégnantes et efficientes il nous faut se jouer de la spatialité, de la temporalité et de la ritualité selon lesquelles elles fonctionnent en les accentuant, en les déconstruisant, en les dépassant.

Se jouer de ces institutions et de ces instances idéologiques (désolé pour le pléonasme) pour déjouer une fin de partie annoncée, un coup de sifflet émis ou un carton jaune ou rouge reçu de l’arbitre du match (incarnation de la Loi). Tout cela im-posé selon une sémiurgie(*) conventionnelle, binaire et manichéenne.

Se tenir ainsi hors des visions panoptiques, des divisions totalisantes, des règles arbitrales, de l’arbitraire règlementaire, des règlements intérieurs qui organisent et structurent ces pensées doxiques, ces éthos étriqués…

Il faut donc savoir et apprendre à déborder ce cadre ainsi posé, ce socle épistémique sur lesquels justement reposent les lieux communs, les habitus (**) sociétaux, les bienséances circonstancielles. Il faut savoir et apprendre la tricherie salvatrice, la rhétorique du geste, l’idéologie du détour et recouvrer cette « mètis »(***) antique en l’actualisant et en l’adaptant à nos espaces postmodernes autrement dit erratiques, anachroniques et anomiques.

Tout en demeurant grégaire sans être ni dans le troupeau ni dans la meute.
Hors-jeu, en cela sera un titre ludique, un intitulé sous forme de trope, un principe de décentrement, une intention programmatique, une posture intellectuelle. Il sera surtout un espace, un support, et un moyen de réflexion et d’expression pour précisément en finir...et recommencer...avec notre monde contemporain.


(*) Tout comme la démiurgie qui naguère, à ces epoques où le sacré faisait foi organisait le monde selon la volonté des dieux, la sémiurgie est désormais, depuis la généralisation des moyens de production et d’information de masse, l’action selon laquelle le signe (en tant que représentation, en tant que marchandise, en tant qu’objet virtuel) fait loi et structure le réel.
(**) Depuis Aristote en passant par Norbert Elias jusqu’à Pierre Bourdieu, c’est la façon dont l’individu ou un groupe font correspondre leurs gestes, leurs comportements, leurs idées à un ensemble de règles et de normes propre à une société (au sens de classe et de culture).
(***) Chez les grecs, Métis était l’incarnation de la sagesse et de l’intelligence rusée

À CONTRETEMPS, une introduction



Comment cela a-t-il réellement commencé ? Était-ce par la main de Thierry Henry ou par autre chose ? Le coup de tête de Zinédine Zidane quelques années auparavant peut-être ? Et la vie dans tout ça… Je veux dire la société française, le quotidien, le monde, loin de toutes ces anecdotes footballistiques, qu’en est-il ? Y a-t-il un lien entre tous ces événements, ces lieux, ces espaces géographiques ?

Certainement que tout ça fait partie de la vie. L’important, l’anecdotique et j’en passe, c’est la vie… non ? Il arrive même que l’anecdotique s’élève jusqu’à des hauteurs qu’on ne le soupçonnerait pas capable d’atteindre et devienne important. Ce fut le cas en 1998…

Nous y voilà donc, le football encore et toujours. La victoire de la France au Mondial de cette année là avait été célébrée comme un événement qui allait changer en profondeur les relations entre les français de toutes origines. On parlait alors de la France « black blanc beur », de toutes les couleurs qui la composent. Bien évidemment certains lucides, mais alors considérés comme des pessimistes, relativisaient d’avance la portée de l’événement. Ils estimaient à juste titre que cette appellation « black blanc beur », présageait du ratage à venir de cette cohésion sociale tant souhaitée, tant espérée. La suite allait très vite leur donner raison. Le Front National s’est invité au deuxième tour des élections présidentielles de mai 2002. Jacques Chirac a été réélu avec un score qui en disait long sur le sentiment d’urgence et l’absence d’alternative. Un quinquennat puis il s’en est allé alors est venu l’actuel gouvernement. La suite vous la connaissez.

C’est à partir de là que tout a commencé, que nous avons décidé de réagir. Nous avions commencé à réagir bien avant cette date mais disons que cette fois-ci nous réagissons de concert. Le temps, la maturité, les opportunités et puis l’urgence de la situation nous y ont fortement poussés, aidés. Quand je dis nous, j’entends bien évidemment nous les membres de l’équipe de ce blog nommé Hors jeu, pour les raisons que nous vous avons exposé plus avant.
Mais pourquoi repartir du mondial 1998, me direz vous ?

Parce que dans cette épisode du mondial 1998, se trouve concentré un ensemble d'éléments qui permettent d'aborder des thèmes variés qui concernent le vivre ensemble. De plus, il était important pour nous de revenir en arrière pour reprendre le fil de la narration. Comprendre ce qui s’est passé, pour que cet événement- qui, d’une certaine manière, s’est achevé avec la mésaventure de l’équipe de France de football au mondial 2010 - semble si loin dans les esprits. Certes, 1998 ça paraît loin, mais dans les faits, douze ans c’est peu quand on se souviens des espoirs placés dans cet instant par nombre d'entre nous.

L’idée est somme toute simple, commencer par le souvenir de cette victoire des Bleus en 1998 que chacun d’entre nous a vécu à sa manière. Prendre cette victoire pour ce qu’elle fut, à savoir un moment de joie et de partage certainement et puis d’étirer ce moment, non pas de façon attentiste mais active. Parce que nous considérons d’une part, qu’il n’est jamais trop tard et parce que d’autre part, cette victoire fut un symbole et nous devons la prendre comme telle. Elle a eu lieu sur un stade de foot certes, mais nous voulons qu’elle en déborde, qu’elle se manifeste dans notre quotidien.

Un feu ça s’entretient ! Nos actions iront donc dans ce sens. Nous résisterons à notre manière face aux discours qui tenteraient de nous faire définitivement perdre espoir et conscience.
D’aucuns étaient loin de l’événement, physiquement ou géographiquement parlant, d’autres de manière disons mentale. Mais tous ont une histoire à raconter en lien avec ce moment là. C’est à ces histoires que nous nous intéresserons ici. Ce sera pour nous l’occasion d’amorcer une réflexion qui très vite vous vous en rendrez compte vous apparaîtra peut-être moins triviale qu’il n’y paraît de prime abord.

Les histoires vont s’enchaîner de manière épisodique, à la façon d’un feuilleton, selon une cadence qui sera fonction de la longueur des textes. Prenez les pour ce qu’elles sont, à savoir, avant tout, des aventures humaines.
Nous espérons vous faire rire, pleurer et qui sait pourquoi pas réagir.

Bonne lecture.

L’équipe Hors/jeu

Le boomerang de la « diversité »


Sport populaire parfois méprisé par une certaine élite[1] et demeurant toujours un moyen - bien qu’aléatoire - d’ascension sociale pour les plus défavorisés, le football est ainsi devenu depuis 1998 une sorte de caisse de résonance de la société française, comme l’a encore montré dernièrement l’emballement médiatico-politique[2] autour de l’équipe de France lors de la Coupe du monde 2010. Les propos de vestiaires et surtout la « fronde » menée par les 23 « bleus » avant leur dernier match contre le Mexique focalisent en effet l’opinion, au point de mobiliser une commission de parlementaires[3]. Comparés à « une bande de voyous qui ne connaît qu’une morale, celle de la mafia » des cités par Alain Finkielkraut, à des « caïds immatures qui commandent à des gamins apeurés » par la Ministre des Sports[4], Roselyne Bachelot, l’équipe de France, ne franchissant pas le premier tour éliminatoire de la compétition, provoque ainsi ouvertement toutes sortes de commentaires, allant bien au-delà de la surveillance de La Marseillaise chantée ou non par certains joueurs. La génération de « racailles milliardaires » de 2010 - majoritairement issue des quartiers populaires tout en aillant passé son adolescence dans les centres de formation du football français - est jugée « indigne » de porter le maillot de l’équipe nationale. Elle devient alors le reflet, le négatif, de celle de 1998 et la « diversité » des origines (mais aussi religieuse)[5], autrefois louée[6], semble aujourd’hui source de discordes. En fait, sous couvert de propos explicatifs de la déroute sportive, on assiste à la construction médiatique et insidieuse d’un amalgame noirs, caïds, banlieues, ethnicisation des rapports entre joueurs, comme le dénonce Fadela Amara, secrétaire d’Etat à la Ville[7]. Dans ce climat, la non-sélection des trois joueurs issus de l’immigration maghrébine (Hatem Ben Arfa, Karim Benzéma et Samir Nasri) est finalement vue à posteriori comme une sorte de soulagement : « Au moins, on ne peut pas dire que c’est la faute des arabes ».

Au regard de ces quinze dernières années, force est donc de constater que l’équipe de France est devenue, suivant les opportunités créées par le fait sportif, le prétexte à toutes les extrapolations et qu’elle cristallise finalement ponctuellement les questions d’identitaires inhérentes à la société française.

Sport médiatiquement roi, le football est en effet, par son décorum et ses accessoires (hymnes, couleurs de maillots, écharpes de supporters, …), propice à exalter les identités à l’occasion de rencontres où la dimension symbolique vient s’ajouter à l’aspect sportif[8]. « Fait social total »[9] et « théâtralisation expressive des appartenances sociales »[10], le football cristallise ainsi les enjeux de la société dans et autour du stade, tandis que l’équipe de France devient le miroir déformant dans lequel viennent se refléter les désirs ou les craintes et angoisses du moment.

Toutefois, le traitement médiatique autour de la déroute de l’équipe de France au cours du dernier mondial semble montrer une évolution de la manière d’aborder les joueurs français d’origines étrangères. Autrefois, les journalistes demandaient de façon récurrente à des footballeurs comme Platini ou Zidane - capitaines de l’équipe de France - de définir leurs liens avec le pays d’origine de leurs grands-parents ou parents aux moments des rencontres France / Italie[11] ou France / Algérie. Aujourd’hui, ces questions ponctuelles de « loyauté » individuelle de joueurs issus de l’immigration envers le drapeau français semblent devenues chez certains une suspicion plus fondamentale : sont-ils « dignes » de porter le maillot bleu ? Bien évidemment, de telles interrogations ne sont pas nouvelles. Seulement jusque-là, leurs auteurs les formulaient uniquement à l’égard de joueurs naturalisés, à l’instar de Lucien Dubech, journaliste sportif à l’Action française, qui trouvait « indécent », en 1938, d’inclure Auguste Jordan – autrichien naturalisé[12] – à l’effectif national au motif qu’il ne savait pas ce qu’était « qu’être français »[13]…

Doit-on en conclure que la société française est devenue au fil du temps plus sensible au « démon des origines »[14], ou n’est-ce qu’un épiphénomène lié au prisme de la défaite ? Toujours est-il que le débat autour de « l’identité nationale », lancé le 2 novembre 2009 par Eric Besson, Ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire, a fait désormais place à celui de « l’identité » de l’équipe nationale.

Fabrice Grognet

Ce texte est extrait d'un texte plus développé, paru dans le catalogue de l'exposition "Allez la France, football et immigration " paru au éd. Gallimard CNHI Musée National du Sport, 2010 et placée sous la direction de Claude Boli,Yvan Gastaut et Fabrice Grognet.
Lire la suite du texte "Football miroir de la "diversité" de la société française ?" sur ce même site Hors/jeu.


[1] Voir Christian Bromberger, 1995, Le match de football. Ethnologie d’une passion partisane à Marseille, Naples et Turin, Paris, Editions de la Maison des Sciences de l’homme.

[2] Souligné par l’autorité sportive de la FIFA.
[3] Le refus de l’entraîneur, Raymond Domenech, de serrer la main de son homologue et adversaire d’un jour, Carlos Alberto Parreira, à l’issue de la rencontre France / Afrique du Sud, ne suscite en revanche que peu de réactions.
[4] Par son statut, la Fédération Française de football a délégation de « service public » par le Ministère de le Jeunesse et des Sports ; voir Pierre Bourdieu, 1998, « L’Etat, l’économie et le sport », in Hugh Daucey et Geoff Hare (ed.), France and the World Cup : The National Impact of a World Sport Event, Londres, Franck Cass Publischers, pp : 15-21.

[5] Voir notamment les déclarations du journaliste Eric Zemmour à propos des joueurs musulmans de l’équipe de France (RTL, 21 juin 2010).

[6] Voir Yvan Gastaut, 2008, Le métissage par le foot. L’intégration, mais jusqu’où ?, Paris, Autrement.
[7] « Il y a une tentation d'ethniciser ce qui se passe. Tout le monde condamne les quartiers populaires. Il y a un sentiment de doute sur le fait que les personnes issues de l'immigration ne sont pas capables de respecter la Nation » (dépêche AFP du 22 juin 2010).
[8] Voir Albrecht Sonntag, 2008, Les identités du football européen, Grenoble, PUG ; Pascal Boniface (dir.), 1998, Géopolitique du football, Bruxelles, éditions Complexe.

[9] Marc Augé, « Football : de l'histoire sociale à l'anthropologie religieuse », Le Débat, n° 19, 1982.
[10] Christian Bromberger, 1998, Football, la bagatelle la plus sérieuse du monde, Paris, Bayard.
[11] À force de répondre à ce type de questions, Michel Platini avoue s’être demandé : « Avant France - Italie, quand j’écoutais les hymnes, j’étais ému et je me disais qui es-tu ? J’étais ému par les deux hymnes. Je suis français, pas de doute, et, il y a le cœur, mais il y a aussi le sang, la famille, le père… » (Michel Platini, 1987, Ma vie comme un match, Paris, Laffont). Toutefois, lorsque Christine Ockrent lui demande la même année sur TFI s’il « a eu le sentiment d’appartenir à une famille d’immigrés », Michel Platini est sans équivoque : « Non, pas du tout. Moi je suis la troisième génération (…) Mon père a choisi la nationalité française, donc moi, je suis né Français. Jamais je ne me suis considéré comme un Italien » (Le Monde en face, 1er Octobre 1987).

[12] Voir Yvan Gastaut, 2006, « Le football français à l’épreuve de la diversité culturelle » in Yvan Gastaut et Stéphane Mourlane (dir.), Le football dans nos sociétés. Une culture populaire 1914-1998, Paris, Autrement.

[13] Dans ces diatribes contre l’équipe de France à partir de 1996, Jean-Marie Le Pen s’est régulièrement servi du même raisonnement en séparant les « vrais » Français, des « Français de papiers », expression rendant artificielles les naturalisations, voire les nationalités acquises par l’immigration des parents.

[14] Hervé Le Bras, 1998, Le démon des origines, éd. de l'Aube.