Sport populaire parfois méprisé par une certaine élite[1] et demeurant toujours un moyen - bien qu’aléatoire - d’ascension sociale pour les plus défavorisés, le football est ainsi devenu depuis 1998 une sorte de caisse de résonance de la société française, comme l’a encore montré dernièrement l’emballement médiatico-politique[2] autour de l’équipe de France lors de la Coupe du monde 2010. Les propos de vestiaires et surtout la « fronde » menée par les 23 « bleus » avant leur dernier match contre le Mexique focalisent en effet l’opinion, au point de mobiliser une commission de parlementaires[3]. Comparés à « une bande de voyous qui ne connaît qu’une morale, celle de la mafia » des cités par Alain Finkielkraut, à des « caïds immatures qui commandent à des gamins apeurés » par la Ministre des Sports[4], Roselyne Bachelot, l’équipe de France, ne franchissant pas le premier tour éliminatoire de la compétition, provoque ainsi ouvertement toutes sortes de commentaires, allant bien au-delà de la surveillance de La Marseillaise chantée ou non par certains joueurs. La génération de « racailles milliardaires » de 2010 - majoritairement issue des quartiers populaires tout en aillant passé son adolescence dans les centres de formation du football français - est jugée « indigne » de porter le maillot de l’équipe nationale. Elle devient alors le reflet, le négatif, de celle de 1998 et la « diversité » des origines (mais aussi religieuse)[5], autrefois louée[6], semble aujourd’hui source de discordes. En fait, sous couvert de propos explicatifs de la déroute sportive, on assiste à la construction médiatique et insidieuse d’un amalgame noirs, caïds, banlieues, ethnicisation des rapports entre joueurs, comme le dénonce Fadela Amara, secrétaire d’Etat à la Ville[7]. Dans ce climat, la non-sélection des trois joueurs issus de l’immigration maghrébine (Hatem Ben Arfa, Karim Benzéma et Samir Nasri) est finalement vue à posteriori comme une sorte de soulagement : « Au moins, on ne peut pas dire que c’est la faute des arabes ».
Au regard de ces quinze dernières années, force est donc de constater que l’équipe de France est devenue, suivant les opportunités créées par le fait sportif, le prétexte à toutes les extrapolations et qu’elle cristallise finalement ponctuellement les questions d’identitaires inhérentes à la société française.
Sport médiatiquement roi, le football est en effet, par son décorum et ses accessoires (hymnes, couleurs de maillots, écharpes de supporters, …), propice à exalter les identités à l’occasion de rencontres où la dimension symbolique vient s’ajouter à l’aspect sportif[8]. « Fait social total »[9] et « théâtralisation expressive des appartenances sociales »[10], le football cristallise ainsi les enjeux de la société dans et autour du stade, tandis que l’équipe de France devient le miroir déformant dans lequel viennent se refléter les désirs ou les craintes et angoisses du moment.
Toutefois, le traitement médiatique autour de la déroute de l’équipe de France au cours du dernier mondial semble montrer une évolution de la manière d’aborder les joueurs français d’origines étrangères. Autrefois, les journalistes demandaient de façon récurrente à des footballeurs comme Platini ou Zidane - capitaines de l’équipe de France - de définir leurs liens avec le pays d’origine de leurs grands-parents ou parents aux moments des rencontres France / Italie[11] ou France / Algérie. Aujourd’hui, ces questions ponctuelles de « loyauté » individuelle de joueurs issus de l’immigration envers le drapeau français semblent devenues chez certains une suspicion plus fondamentale : sont-ils « dignes » de porter le maillot bleu ? Bien évidemment, de telles interrogations ne sont pas nouvelles. Seulement jusque-là, leurs auteurs les formulaient uniquement à l’égard de joueurs naturalisés, à l’instar de Lucien Dubech, journaliste sportif à l’Action française, qui trouvait « indécent », en 1938, d’inclure Auguste Jordan – autrichien naturalisé[12] – à l’effectif national au motif qu’il ne savait pas ce qu’était « qu’être français »[13]…
Doit-on en conclure que la société française est devenue au fil du temps plus sensible au « démon des origines »[14], ou n’est-ce qu’un épiphénomène lié au prisme de la défaite ? Toujours est-il que le débat autour de « l’identité nationale », lancé le 2 novembre 2009 par Eric Besson, Ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire, a fait désormais place à celui de « l’identité » de l’équipe nationale.
Fabrice Grognet
Ce texte est extrait d'un texte plus développé, paru dans le catalogue de l'exposition "Allez la France, football et immigration " paru au éd. Gallimard CNHI Musée National du Sport, 2010 et placée sous la direction de Claude Boli,Yvan Gastaut et Fabrice Grognet.
Lire la suite du texte "Football miroir de la "diversité" de la société française ?" sur ce même site Hors/jeu.
Ce texte est extrait d'un texte plus développé, paru dans le catalogue de l'exposition "Allez la France, football et immigration " paru au éd. Gallimard CNHI Musée National du Sport, 2010 et placée sous la direction de Claude Boli,Yvan Gastaut et Fabrice Grognet.
Lire la suite du texte "Football miroir de la "diversité" de la société française ?" sur ce même site Hors/jeu.
[1] Voir Christian Bromberger, 1995, Le match de football. Ethnologie d’une passion partisane à Marseille, Naples et Turin, Paris, Editions de la Maison des Sciences de l’homme.
[2] Souligné par l’autorité sportive de la FIFA.
[3] Le refus de l’entraîneur, Raymond Domenech, de serrer la main de son homologue et adversaire d’un jour, Carlos Alberto Parreira, à l’issue de la rencontre France / Afrique du Sud, ne suscite en revanche que peu de réactions.
[4] Par son statut, la Fédération Française de football a délégation de « service public » par le Ministère de le Jeunesse et des Sports ; voir Pierre Bourdieu, 1998, « L’Etat, l’économie et le sport », in Hugh Daucey et Geoff Hare (ed.), France and the World Cup : The National Impact of a World Sport Event, Londres, Franck Cass Publischers, pp : 15-21.
[5] Voir notamment les déclarations du journaliste Eric Zemmour à propos des joueurs musulmans de l’équipe de France (RTL, 21 juin 2010).
[6] Voir Yvan Gastaut, 2008, Le métissage par le foot. L’intégration, mais jusqu’où ?, Paris, Autrement.
[7] « Il y a une tentation d'ethniciser ce qui se passe. Tout le monde condamne les quartiers populaires. Il y a un sentiment de doute sur le fait que les personnes issues de l'immigration ne sont pas capables de respecter la Nation » (dépêche AFP du 22 juin 2010).
[8] Voir Albrecht Sonntag, 2008, Les identités du football européen, Grenoble, PUG ; Pascal Boniface (dir.), 1998, Géopolitique du football, Bruxelles, éditions Complexe.
[9] Marc Augé, « Football : de l'histoire sociale à l'anthropologie religieuse », Le Débat, n° 19, 1982.
[10] Christian Bromberger, 1998, Football, la bagatelle la plus sérieuse du monde, Paris, Bayard.
[11] À force de répondre à ce type de questions, Michel Platini avoue s’être demandé : « Avant France - Italie, quand j’écoutais les hymnes, j’étais ému et je me disais qui es-tu ? J’étais ému par les deux hymnes. Je suis français, pas de doute, et, il y a le cœur, mais il y a aussi le sang, la famille, le père… » (Michel Platini, 1987, Ma vie comme un match, Paris, Laffont). Toutefois, lorsque Christine Ockrent lui demande la même année sur TFI s’il « a eu le sentiment d’appartenir à une famille d’immigrés », Michel Platini est sans équivoque : « Non, pas du tout. Moi je suis la troisième génération (…) Mon père a choisi la nationalité française, donc moi, je suis né Français. Jamais je ne me suis considéré comme un Italien » (Le Monde en face, 1er Octobre 1987).
[12] Voir Yvan Gastaut, 2006, « Le football français à l’épreuve de la diversité culturelle » in Yvan Gastaut et Stéphane Mourlane (dir.), Le football dans nos sociétés. Une culture populaire 1914-1998, Paris, Autrement.
[13] Dans ces diatribes contre l’équipe de France à partir de 1996, Jean-Marie Le Pen s’est régulièrement servi du même raisonnement en séparant les « vrais » Français, des « Français de papiers », expression rendant artificielles les naturalisations, voire les nationalités acquises par l’immigration des parents.
[14] Hervé Le Bras, 1998, Le démon des origines, éd. de l'Aube.
[2] Souligné par l’autorité sportive de la FIFA.
[3] Le refus de l’entraîneur, Raymond Domenech, de serrer la main de son homologue et adversaire d’un jour, Carlos Alberto Parreira, à l’issue de la rencontre France / Afrique du Sud, ne suscite en revanche que peu de réactions.
[4] Par son statut, la Fédération Française de football a délégation de « service public » par le Ministère de le Jeunesse et des Sports ; voir Pierre Bourdieu, 1998, « L’Etat, l’économie et le sport », in Hugh Daucey et Geoff Hare (ed.), France and the World Cup : The National Impact of a World Sport Event, Londres, Franck Cass Publischers, pp : 15-21.
[5] Voir notamment les déclarations du journaliste Eric Zemmour à propos des joueurs musulmans de l’équipe de France (RTL, 21 juin 2010).
[6] Voir Yvan Gastaut, 2008, Le métissage par le foot. L’intégration, mais jusqu’où ?, Paris, Autrement.
[7] « Il y a une tentation d'ethniciser ce qui se passe. Tout le monde condamne les quartiers populaires. Il y a un sentiment de doute sur le fait que les personnes issues de l'immigration ne sont pas capables de respecter la Nation » (dépêche AFP du 22 juin 2010).
[8] Voir Albrecht Sonntag, 2008, Les identités du football européen, Grenoble, PUG ; Pascal Boniface (dir.), 1998, Géopolitique du football, Bruxelles, éditions Complexe.
[9] Marc Augé, « Football : de l'histoire sociale à l'anthropologie religieuse », Le Débat, n° 19, 1982.
[10] Christian Bromberger, 1998, Football, la bagatelle la plus sérieuse du monde, Paris, Bayard.
[11] À force de répondre à ce type de questions, Michel Platini avoue s’être demandé : « Avant France - Italie, quand j’écoutais les hymnes, j’étais ému et je me disais qui es-tu ? J’étais ému par les deux hymnes. Je suis français, pas de doute, et, il y a le cœur, mais il y a aussi le sang, la famille, le père… » (Michel Platini, 1987, Ma vie comme un match, Paris, Laffont). Toutefois, lorsque Christine Ockrent lui demande la même année sur TFI s’il « a eu le sentiment d’appartenir à une famille d’immigrés », Michel Platini est sans équivoque : « Non, pas du tout. Moi je suis la troisième génération (…) Mon père a choisi la nationalité française, donc moi, je suis né Français. Jamais je ne me suis considéré comme un Italien » (Le Monde en face, 1er Octobre 1987).
[12] Voir Yvan Gastaut, 2006, « Le football français à l’épreuve de la diversité culturelle » in Yvan Gastaut et Stéphane Mourlane (dir.), Le football dans nos sociétés. Une culture populaire 1914-1998, Paris, Autrement.
[13] Dans ces diatribes contre l’équipe de France à partir de 1996, Jean-Marie Le Pen s’est régulièrement servi du même raisonnement en séparant les « vrais » Français, des « Français de papiers », expression rendant artificielles les naturalisations, voire les nationalités acquises par l’immigration des parents.
[14] Hervé Le Bras, 1998, Le démon des origines, éd. de l'Aube.
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